Ajda Ahu Giray est une musicienne et chanteuse turque installée à Lyon depuis 2004. Nous l’avons rencontrée en 2008, à l’époque où elle suivait une formation musicale auprès de Marc Loopuyt, à l’ENM de Villeurbanne. Elle interprète pour nous ce jour-là deux chants issus du répertoire séfarade turc.

L’amour à distance : « Fasel de Marmara » 

C’est à son arrivée en France qu’Ajda commence à prendre plaisir à chanter de la musique turque, alors qu’elle ne la pratiquait guère dans son pays d’origine. Son répertoire admet depuis un grand nombre de chants issus de fasil originaires des pourtours de la Mer de Marmara. Les fasil sont des suites instrumentales et vocales parmi les plus représentatives de la musique de cour des Sultans d’Istanbul, au cours desquels se côtoyaient chants populaires, airs de louange au prophète ou lamentations.  Le « Fasil de Marmara » raconte une histoire d’amour entre deux jeunes turcs qu’une grande distance géographique sépare. La langue dans laquelle Ajda interprète ce chant est le ladino, un mélange d’espagnol, d’hébreux et d’influences turques, grecques ou bulgares, aujourd’hui très peu pratiquée, et que le répertoire vocal judéo-espagnol contribue à garder vivace.

Une identité transfrontalière : « Si verias a la rana »

La seconde chanson qu’Ajda nous offre est un air populaire mettant en scène une grenouille, une souris, et leurs familles respectives…

Si verias a la rana

asentada en la hornalla

friendo sus buenas fritas

inspartiendo a sus hermanicas.

Ben seni severim,

Çok seni severim.

Si verias al raton

asentado en el canton

mundando sus muezezicas

inspartiendo a sus hermanicas.

On retrouve dans cette chanson populaire la pluralité des influences culturelles qui ont formé ce répertoire que l’on nomme de façon faussement homogène « la musique sépharade d’Orient ». Celle-ci raconte la trajectoire des Juifs séfarades depuis l’Espagne dont ils ont été chassés en 1492. Ces chansons, ces airs profanes ou sacrés, sédimentent sans que l’on puisse les segmenter, les « emprunts ponctuels » faits aux différents systèmes culturels parcourus depuis cinq siècles. C’est ainsi que le lieu de l’identité culturelle sépharade se dissout sur les cartographies du monde arabe, mais se cristallise autour de sa langue, ce ladino qui, suivant les pays où il résonne, s’appelle djudyo, djidiyo, espanyoliko, tetauni, haketiya ou yahudice.

Aujourd’hui, Ajda est retournée à ses premiers amours… la chanson française qu’elle avait découverte pendant ses études au lycée francophone d’Istanbul, et qui une fois son diplôme de Chimie en poche, l’avait décidée à venir vivre sa passion musicale en France, à Lyon.

Visuel : Noce dans la communauté juive du Maroc, par Eugène Delacroix

Consultez ici l’enregistrement complet de la rencontre avec Ajda Ahu Giray.

Pour aller plus loin…
> Un article de Sami Sadak : « Transculturalité et identité musicale dans les répertoires judéo-espagnols« , publié en 2007 aux Cahiers d’Ethnomusicologie
> le livret du cycle de concerts programmés en février 2000, à la Cité de la Musique « Turquie : musiques populaires et classiques. Musiques et danses de la Mer Noire ».
> L’ouvrage Traditions poétiques et musicales juives en Occident musulman d’Haim ZAFRANI, paru en 1998 aux éditions Stavit/Unesco