Source : "Les ébaudes en Bresse : La grande veillée", cette photo est publiée sous la licence CC BY-NC-SA 2.0 FR. Elle représente en une seule image organisée (les personnes posent spécialement pour la photo) des activités possibles spécifiques de la veillée mais qui n'ont pas nécessairement lieu au même moment ni à chaque veillée. C'est en quelque sorte une représentation symbolique, mais il ne s'agit pas d'un cliché réaliste instantané.

Cet article a été rédigé par Antoine Saillard.

Mutualiser le foyer

La veillée était d’abord un regroupement de voisins et de parents autour d’un foyer. Elle avait lieu pendant les mois d’automne et d’hiver, pendant lesquels les travaux agricoles étaient moins nombreux et quand la lumière venait à manquer plus tôt. La veillée assurait ainsi une fonction vitale, celle de mutualiser le feu, source de chaleur et de clarté. A la lumière du foyer, les participant.es, qui venaient parfois d’assez loin et qui n'étaient pas toujours les mêmes, réalisaient divers travaux de tissage et de vannerie, préparaient les récoltes (mondées ou curées de noix, triage de châtaignes...).

Les veillées n'étaient pas simplement un temps dédié au travail. C’était également une manière de tromper l’ennui des longues soirées d’hiver.  Une fois le travail achevé, on s'amusait. Il était possible en présence d'un musicien ou d'une musicienne de danser. Celles et ceux qui savaient chanter, chantaient, les conteur.se.s racontaient des histoires. Les plus jeunes jouaient à des jeux, à se donner des gages qui tournaient souvent autour de l’union des garçons et des filles, des éventuels mariages à venir dans l’année et des baisers qu’il fallait se donner. Dans tous les cas, il semble qu'il n'y ait jamais de programme et que les activités se déroulent selon les envies et de façon spontanée.

Un espace de transmission

La veillée était également un espace de transmission : on y partageait des histoires, des chansons, des blagues, des devinettes. C'était aussi l'occasion parfaite de parler du pays et de ses habitants, d'échanger des nouvelles, de se tenir au courant. Ces longues soirées se prêtaient particulièrement bien à la transmission de contes, ou de longues complaintes (voir notre dossier sur les complaintes traditionnelles). On y joueait aussi à se faire peur. Cela commençait souvent dès le trajet jusqu’à la ferme, durant lequel on aimait raconter les histoires de revenants et de fantômes, mêlant souvent légende et réalité. Pendant la veillée elle-même, les récits de peur pouvaient occuper une bonne place.  (voir notre dossier sur les Paroles, contes, histoires et légendes).  

Un cadre qui évolue

Éléments structurants des sociétés rurales jusqu’au milieu du XXe siècle, les veillées ont peu à peu disparu sous leurs formes originelles. Les personnes interrogées par les collecteurs des années 1970 et 1980 les évoquent comme des souvenirs d’enfance, ou au mieux de jeunesse. A cette époque, elles sont déjà exceptionnelles. Plusieurs évolutions sociales et technologiques du milieu du XXe siècle ont en effet rebattu les cartes des sociabilités paysannes : la démocratisation de l’électricité et l’apparition du téléviseur en font partie.

Particulièrement attentifs aux contextes de jeu et aux espaces de transmission des répertoires de tradition orale, les collecteurs des années 1970 ont parfois tenté de recréer ces moments de partage. Sylvette Béraud Williams a ainsi réuni en 1976 deux des meilleurs interprètes qui ont accompagné sa collecte : Monsieur Rouveyrol et Madame Chazel.  Cette « veillée de collecte », bien qu’un peu artificielle, permet d’entrevoir des modes d’interprétation et d’interaction entre les participant.es particulièrement intéressant.es. La rivalité amicale entre les chanteur/euses, qui conduit parfois à une sorte de joute chansonnière, conditionne ainsi largement la manière dont se déroule la rencontre, et dont le répertoire surgit.

Plus récemment, le cadre de la veillée s’est imposé comme un élément important dans la pratique actuelle des musiques traditionnelles. Plus adapté que le concert et moins formel que le bal, la veillée désigne désormais des temps de pratiques collectives et improvisées, particulièrement propices à la rencontre des musicien.nes et chanteur/ses et à la transmission des répertoires. Bien évidemment, que ce soit lors des veillées d'hier ou d'aujourd'hui, les activités restent des prétextes, des occasions, dans le sens où ces rassemblement sont avant tout tisseurs de liens sociaux. Les rencontres de musicien.ne.s ne sont ni des stages, ni des master-classes : la musique n'est qu'un élément partagé, les non-musiciens sont les bienvenus car c'est avant tout la rencontre humaine qui est le ciment de ces veillées.

Pour aller plus loin...
- Retrouvez le portrait de Sylvette Béraud-Williams
- Notre dossier sur les Grandes Complaintes traditionnelles
- L'article Paroles, contes, histoires et légendes